Bénin. Opération « port de casque obligatoire » : protéger la vie des citoyens ou leur extorquer de l’argent ?

Article : Bénin. Opération « port de casque obligatoire » : protéger la vie des citoyens ou leur extorquer de l’argent ?
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14 août 2014

Bénin. Opération « port de casque obligatoire » : protéger la vie des citoyens ou leur extorquer de l’argent ?

L’opération « port de casque obligatoire » décrétée au Bénin est entrée en vigueur depuis le 02 août 2014. S’il est incontestable que la décision est salutaire pour la vie des citoyens motocyclistes, sa mise en oeuvre pose néanmoins problème. Des comportements émanant de certains éléments des forces de police dans les départements de l’Atlantique et du Littoral, laisse un goût très amer. On se demande alors si le but poursuivi est uniquement d’amener les citoyens à porter de casque ou plutôt de profiter de l’opération pour remplir les caisses de l’Etat. Témoignages.

Le port de casque par les motocyclistes à Cotonou
Le port de casque est désormais rentré dans les habitudes à Cotonou, capitale économique du Bénin.
Photo : lanationbenin.bj

C’est en janvier 2014 que le Gouvernement béninois a lancé une campagne de sensibilisation au port de casque par le biais du Centre national de sécurité routière (CNSR). Intitulée « Vive la vie, dehors la mort sans casque », la campagne visait à « alerter la population sur les dangers de rouler à moto sans protection. » Les citoyens concernés avaient alors jusqu’au 02 août 2014 pour se mettre en règle, après quoi la phase dite « répressive » devrait commencer.

Mais en amont se trouve un arrêté préfectoral pris en 2011 par le préfet des départements de l’Atlantique et du Littoral, Placide AZANDE. Ce dernier avait été très rapidement suivi par ses pairs des autres départements, notamment par le préfet des départements de l’Ouémé et du Plateau d’alors, M. François Houessou. Celui-ci est l’actuel ministre de l’intérieur, de la sécurité publique et des cultes. Devant la résistance des populations en 2011, les autorités préfectorales avaient été amenées à renoncer à mettre en application leur décision de faire porter obligatoirement des casques aux citoyens motocyclistes. Pourquoi alors ce réveil, en 2014, de l’opération « port de casque obligatoire » ? La nomination de M. François Houessou, grand défenseur de la décision mise en veilleuse depuis 2011, à la tête du ministère de l’intérieur, de la sécurité publique et des cultes, en est-il pour quelque chose? On le voit très actif depuis le 02 août, date de l’entrée en vigueur de « la phase répressive », pour défendre ardemment cette mesure qu’il entend faire étendre à toutes les localités du Bénin. C’est à tel point qu’il a organisé le 04 août passé une concertation des acteurs impliqués et préconise même la constitution d’un « comité de coordination » pour superviser l’opération à l’échelle nationale.

Nul ne peut aller contre la volonté du gouvernement ayant rendu obligatoire le port du casque. La décision doit d’ailleurs être saluée, d’autant plus que son respect est de nature à limiter les dégâts qui surviennent à l’occasion d’accidents de la circulation. Cependant, nombre de comportements de la part d’une frange d’éléments de la police nationale, laissent plus d’un interrogateurs sur l’intention réelle qui sous-tend cette opération.

Deux poids deux mesures : une application à géométrie variable sur le territoire national.

D’abord l’aire géographique de l’application de la mesure : deux départements sur douze. Il semble paradoxale que la décision qui devait avoir une portée nationale n’est appliquée principalement que dans deux départements (Atlantique et Littoral) sur les douze que compte le pays. Et en plus, dans ces deux départements minoritaires, seulement deux villes requièrent l’attention, Cotonou et Calavi. Pourquoi donc n’avoir focalisé l’attention que sur les seuls citoyens de ces villes ? En effet, dès le premier jour après l’expiration du délai accordé aux citoyens pour se mettre en règle vis-à-vis de la décision gouvernementale, les policiers ont envahi les principaux carrefours et artères des villes de Cotonou et Calavi. Des milliers de motos arraisonnées et emportées dans les différents commissariats de police de ces deux villes. Le nombre de motos concernées dans la seule ville de Cotonou est révélateur du chiffre total.

Ensuite une situation disparate à l’intérieur même des deux villes, Calavi et Cotonou, en ce qui concerne le statut des personnes dont les motos sont saisies. A ce propos, l’on note qu’à Cotonou, ce sont seulement les conducteurs de motos sans casque qui se voient confisquer leur moyen de déplacement. A Calavi par contre, même les conducteurs ayant porté de casque mais transportant de passager n’en n’ayant pas porté, tombent dans les mailles de la police. Une situation d’injustice qui a été à l’origine de nombreuses échauffourées à divers endroits. Or, aux dires de Messieurs Louis Tokpanou et Sylvain Zohoun, respectivement directeur central de la sécurité publique et directeur du Centre national de la sécurité routière, intervenus dans les médias et cités par le quotidien national « La Nouvelle Tribune » dans son édition du 06 août 2014, « la mesure ne concerne pas pour l’instant les passagers, ces derniers devant simplement être descendus des motos. »

Fiche de mise en fourrière

Une fiche de mise en fourrière de moto délivrée par la police à Calavi. Mention de l’infraction relevée : « Défaut de port de casque par son passager ». Une infraction qui ne devrait pourtant pas faire l’objet de saisie de moto selon les déclarations officielles.

Un excès de zèle manifeste de la part des forces de police dans certains cas.

Des scènes rapportées par des motocyclistes et certifiées par des témoins fondent davantage les interrogations sur les objectifs inavoués de cette opération. Morceaux choisis parmi les actes d’abus racontés par les victimes elles-mêmes :

  1. « Moi j’avais porté de casque mais j’avais transporté un ami qui n’en n’avait pas porté. Au moment où cet ami descendait à l’endroit où il devait s’arrêter, un policier nous a vu de loin. Quand je suis arrivé au niveau de ce dernier, il a saisi ma moto sous prétexte que j’ai transporté un passager n’ayant pas porté de casque. Même l’intervention de mon ami en question ne changea rien. »
  2. « On a saisi ma moto parce que j’ai porté un chapeau en dessous du casque. »
  3. « Dans la circulation mon téléphone portable a sonné. J’ai alors enlevé le casque pour prendre l’appel. Un policier qui m’a vu avec mon casque dans la main a saisi ma moto pour défaut de port de casque. »
  4. « Moi je n’avais pas porté de casque, mais à la vue des policiers, j’ai voulu déjouer leur vigilance. J’ai alors garé ma moto au bord de la voie; je l’ai fermée et je me suis éloigné. L’un des policiers qui m’avait aperçu est venu forcer le système de blocage de ma moto et l’a cassé. »

La hiérarchie policière et les autorités gouvernementales ne sont certainement pas ignorantes de ces cas d’abus sur le terrain. On comprend pourquoi le ministre de l’intérieur devait déclarer : « Il n’est pas question de brimer les populations. Il nous faut développer une nouvelle forme de communication pour expliquer le bien fondé du port de casque et ses avantages. »

Une question de cas de conscience : l’opération a-t-elle uniquement pour but d’amener les citoyens à porter de casque ou plutôt d’en profiter pour leur extorquer de l’argent ?

L’arrêté préfectoral servant de base réglementaire à l’opération, prévoit en son article 4 le paiement d’une amende en cas d’infraction. Une disposition imprécise ouvrant la voie à une amende fixée à 10.000FCFA jugée exorbitante au vue du pouvoir d’achat de la plupart des Béninois. Or, l’arrêté préfectoral a visé un décret vieux de 42 ans (Décret n°72-113 du 27 avril 1972, prescrivant le port obligatoire du casque pour les conducteurs et les passagers des engins à deux roues et assimilés munis d’un moteur thermique) qui a fixé l’amende, en cas d’infraction au port de casque, à 200FCFA. Les citoyens se demandent alors sur quelle base légale a été fixée l’amende de 10.000FCFA qu’ils sont obligés de payer avant de rentrer en possession de leurs motos illégalement saisies ? Les ressentiments se font encore plus forts dans le rang des motocyclistes qui sont contraints de payer, non pas parce qu’ils n’avaient pas porté de casque, mais parce qu’ils ont eu à transporter des passagers qui n’en n’avaient pas porté.

Amende payée au trésor
Reçu de l’amende de 10.000FCFA payée au trésor national par un motocycliste pour avoir transporté un passager sans casque; ce qui ne devrait pas être le cas selon les déclarations officielles.

L’opération « port de casque obligatoire » vise-t-elle seulement à protéger la vie des citoyens ou plutôt à leur extorquer de l’argent ? La question se justifie dans la mesure où en dehors de la lourde amende fixée à 10.000FCFA, les concernés doivent débourser, en sus, des frais de fourrière et d’autres frais dits de « frais de casse auto » fixés à la convenance des responsables des commissariats de police.

Frais de fourrièreFrais de fourrière
Un reçu de frais de fourrière payés dans les commissariats de police par toute personne dont la moto a été saisie.

Au commissariat de police de Calavi par exemple, ceux qui ont eu la chance de retirer leur moto dès les premiers jours ont dû payer 14.000FCFA ou 15.000FCFA selon la taille de la cylindrée de leur moto. Sachant qu’un casque au Bénin coûte entre 10.000FCFA et 15.000FCFA, si le but de l’opération était uniquement d’amener les citoyens à porter de casque, ne devrait-on pas les encourager à aller l’acheter simplement et revenir retirer leur moto au lieu de les taxer aussi lourdement ? Question légitime car, ceux qui s’étaient rendus dans les commissariats présenter leur casque et qui n’avaient pas de quoi payer l’amende, les frais de fourrière et de « casse auto », n’avaient pu retirer leur moto. Dans le même temps, ceux qui avaient pu s’acquitter de cette exorbitante somme d’argent avaient tout bonnement repris leur moto sans avoir forcément besoin de présenter de casque !

Frais de casse auto
Un reçu de frais de « casse-auto » payés dans le commissariat de police de Calavi par toute personne dont la moto a été saisie.

Des mesures appropriées attendues des autorités à divers niveaux.

Pendant ce temps, on note un silence incompréhensible de la part des autorités gouvernementales et de la hiérarchie de la police nationale qui, une fois encore, ne sont pas sans être au courant de ce traitement de la croix et de la bannière réservé à ceux qui se rendent dans les commissariats de police pour retirer leurs motos mises en fourrière. Alors que l’opération se poursuit et est censée s’étendre au reste des régions du pays, ces autorités sont attendues pour faire cesser les abus et, pourquoi pas, faire rembourser ceux à qui de l’argent a été pris indûment.

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