Tirailleurs sénégalais. 70 ans après le « débarquement » du camp de Thiaroye

Article : Tirailleurs sénégalais. 70 ans après le « débarquement » du camp de Thiaroye
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1 décembre 2014

Tirailleurs sénégalais. 70 ans après le « débarquement » du camp de Thiaroye

Le 15 août 2014 a marqué la célébration du 70ème anniversaire de l’héroïque débarquement de Provence en 1944. Ce 1er décembre 2014 marque aussi l’an 70 d’une autre opération militaire qu’on pourrait bien qualifier également de « débarquement » tristement célèbre. Il s’agit du « massacre » à coup d’artillerie militaire, de soldats africains dans le camp de Thiaroye. L’occasion de se souvenir de la mémoire de valeureux combattants ayant payé de leur vie la réclamation de ce qui leur revenait pourtant de plein droit. 

Tirailleurs sénégalais
Image de Tirailleurs sénégalais tirée du film « Camp de Thiaroye » de Ousmane Sembene. Crédit photo : johnvirtue.net.

« Sénégal : le camp de Thiaroye, part d’ombre de notre histoire », c’est le titre d’une tribune publiée par le journal français « Libération » et signée par l’historienne française Armelle MABON. En employant le terme la « part d’ombre de notre histoire », Armelle MABON n’a fait que l’emprunter à François Hollande, président de la République française. Car ce dernier a, au cours d’un discours prononcé le 12 octobre 2012 à Dakar au Sénégal, déclaré ce qui suit : « La part d’ombre de notre histoire, c’est aussi la répression sanglante qui en 1944 au camp de Thiaroye provoqua la mort de 35 soldats africains qui s’étaient pourtant battus pour la France. J’ai donc décidé de donner au Sénégal toutes les archives dont la France dispose sur ce drame afin qu’elles puissent être exposées au musée du mémorial. » Une position que François Hollande a réaffirmée à Dakar ce 1er décembre 2014 lors d’un discours d’hommage officiel aux soldats africains morts au cours de ce drame il y a 70 ans.

Les faits :

Nous étions le 1er décembre 1944, soit un peu plus de trois mois après l’héroïque débarquement de Provence qui finit d’affaiblir la redouble armée hitlérienne et qui contribua largement à la libération de la France du joug allemand. Nous sommes à Dakar au Sénégal, plus précisément dans le camp militaire de Thiaroye. Là étaient cantonnés des Noirs, soldats ayant combattu dans les rangs des armées françaises mais faits prisonniers entre temps par l’Allemagne. Libérés, ils étaient démobilisés et devaient rejoindre leur pays respectif. Car comme le terme générique de « Tirailleurs sénégalais » ne l’indique pas, les soldats désignés sous ce vocable n’étaient pas tous des Sénégalais. Ils venaient de presque tous les pays de l’Afrique occidentale française (AOF). Mais ils devaient tous passer par Dakar avant de rejoindre leurs familles dans leurs différents pays. La raison principale de ce transit était le paiement de la solde due à chacun de ces soldats.

 Dans sa tribune citée plus haut, Armelle MABON rapporte que des « notes officielles notamment une circulaire datée du 21 octobre 1944, précise que la solde de captivité des anciens prisonniers de guerre «indigènes» doit être entièrement liquidée, un quart du paiement devant intervenir en métropole et les trois-quarts au débarquement, afin d’éviter les vols durant la traversée. » Or, ces soldats qui devaient être renvoyés dans leur colonie d’origine ne perçurent pas la somme prévue avant  leur convoyage à Dakar. Ils s’étaient simplement contentés, avant leur embarquement sur Dakar, de promesses fermes de la hiérarchie militaire qui les a rassurés de ce que toutes les dettes à leur égard seraient  réglées une fois arrivés à leur lieu de transit. Mais, « les officiers stationnés à Dakar n’ont pas appliqué la réglementation, ce qui est contraire au principe de neutralité attendue dans l’armée et qui peut constituer un abus de pouvoir et un refus d’obéissance aux ordres de la direction des troupes coloniales », poursuit Armelle MABON qui a eu accès à différents fonds d’archives, en l’occurrence le rapport du général Dagnan faisant partie à l’époque de la hiérarchie militaire en charge des Tirailleurs sénégalais. Ces derniers « connaissant leurs droits, ont exigé le paiement de leur rappel de solde à Thiaroye » alors qu’on voulait les faire partir dans leurs pays sans leur avoir donné satisfaction. Erreur fatale de leur part. Des dizaines d’entre eux perdirent la vie et plusieurs autres furent blessés pour avoir réclamé leur droit. Dans son film bien documenté, « Camp de Thiaroye », sorti en 1988 et censuré pendant dix ans en France, Ousmane Sembène, par ailleurs ancien Tirailleur lui-même, montre comment le 1er décembre 1944 au petit matin à 3H, l’assaut fut donné sur le camp de Thiaroye où étaient regroupés les soldats mécontents. Le contingent militaire chargé de la sale besogne était composé de « gendarmes, renforcés de soldats et d’artillerie, appuyés par un char et des automitrailleuses et un half-track6 ». Le bilan effroyable de cette tuerie de soldats ayant combattu pour défendre la France est à mettre à l’actif ou au passif (c’est selon) d’officiers français ayant donné l’ordre de tirer dans le tas.

Devoir de mémoire.

Dans son « discours de Dakar » du 12 octobre 2012 , le président français François Hollande rappelle le « bilan officiel » qui est de 35 Tirailleurs tués. Or, dans son rapport du 5 décembre 1944, le général Dagnan, rapporté par Armelle MABON indique : « 24 tués et 46 blessés transportés à l’hôpital et décédés par la suite» ; « ce qui fait 70 morts soit une dissimulation de la moitié des décès, au moins ».

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Le président français, François Hollande en compagnie de son homologue sénégalais Macky Sall, lors de sa visite à Dakar en 2012. Crédit photo ; lemonde.fr.

Toujours à Dakar en 2012, François Hollande avait promis de donner au Sénégal les documents d’archives liés à cette « tragédie ». Il vient d’honorer sa promesse en remettant au « président sénégalais Macky Sall les archives françaises qui permettront d’établir toute la vérité sur ce massacre. » Elles permettront certainement de connaître beaucoup d’autres vérités restées cachées jusqu’ici. Mais au-delà de cette facette de l’histoire des anciens combattants africains ayant servi sous le drapeau français, c’est toutes les archives liées à la participation des Tirailleurs sénégalais aux deux guerres mondiales qui méritent d’être données aux pays africains d’où ils étaient originaires. Cela devrait aussi faire partie des « réparations » auxquelles François Hollande a fait allusion à juste titre dans son discours commémoratif du 70ème anniversaire du débarquement de Provence. A ce sujet, concluons notre propos comme nous l’avons introduit par une citation de l’historienne française Armelle MABON : « Je souscris à la volonté du président de la République de donner les archives au Sénégal mais pour que ce geste fort ait du sens et permette une réconciliation après tant de malentendus et de mensonges, il faut impérativement : restituer tous les documents officiels dans les archives ; donner le bilan sincère du nombre de morts ; révéler le lieu de leur sépulture ; nommer ces hommes qui ont été tués ; amnistier ceux qui ont été condamnés, la grâce ne suffisant pas ; reconnaître la spoliation du rappel de solde et la responsabilité de l’armée ; réhabiliter ces tirailleurs en leur rendant un hommage solennel. »

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Commentaires

Berruezo
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Bonjour
Merci pour votre article
Je vous informe de l’existence du site nouvellement créé sur le film Le Tata

https://tirailleurs-senegalais.fr.Ce film est toujours censuré sur les chaines hertziennes françaises depuis 25 ans.C’est le premier document scientifique (1992) à parler de Thiaroye en France
Bonsoir
E.B